Bangkok,1969.

Marc Riboud, voyageur magnifique
par Annick Cojean, journaliste au Monde

Cet homme est libre. Cet homme est passionné. C'est un voyageur magnifique que le monde continue d'étonner.

Cet homme est libre. Parce qu'il sait se perdre sur les chemins du monde, sans jamais s'égarer dans les méandres de l'Histoire. Parce qu'il aime l'aventure, adore la fantaisie, recherche l'imprévisible, mais garde ses distances avec les événements, son libre arbitre dans les débats d'idées, une belle indépendance devant les idéologies. Cet homme d'image est un homme de culture qui, dans son sac de photographe, a toujours plusieurs livres. Et sur sa table de travail, à portée de main, quelques belles citations.

Cet homme est libre. Il aime et il photographie intensément la vie. Il ne cherche pas d'effet. Il ne prend pas la pose. Quand on lui demande de commenter l'une de ses photos, le voilà qui hésite, pudique, embarrassé. Ses longs doigts approchent alors l'image, indiquent des lignes, effleurent une courbe, s'attardent sur un détail. Et puis non, décidément, on se passera de mots. Ils seraient malhabiles. L'œil seul fera son chemin.

 

 

"J'ai toujours été sensible à la beauté du monde plutôt qu'à la violence et aux monstres. Découvrir des rimes et des rythmes dans mon viseur est encore un immense plaisir. Mes planches contact révèlent aussi des passions pour de nombreuses causes. Je ne le regrette pas. La vie serait si triste si nous ne rêvions pas de la changer !

Il y a différentes façons de voir. J'ai la mienne. Pour moi, regarder et photographier une scène de rue ou un paysage de brume est un peu comme écouter de la musique. Cela m'aide à vivre. Après cinquante ans, ai-je changé ma façon de voir ? Je ne le crois pas. On change rarement. Je photographie des choses différentes de la même façon. Quand on me demande quelle est ma meilleure photo, je réponds : J'espère la faire demain, et j'essaierai de changer ma façon de voir. En vain. Les jeunes photographes innovent, je les admire.

Pour moi, la photographie n'est pas un processus intellectuel, c'est un processus visuel. L'œil est fait pour voir et non pas pour penser. J'aime la définition que Walker Evans donne du photographe : un joyeux sensuel parce que l'œil manipule les sens et non les idées. Ce que je cherche est dans la vie, dans la réalité. La création pure, je n'y crois pas trop.

Mon obsession: photographier le plus intensément possible la vie la plus intense. C'est une manie, un virus aussi fort pour moi que le réflexe d'indépendance. Et si le goût de la vie diminue, les photos pâlissent parce que photographier, c'est savourer la vie au 1/ 125 de seconde."

Marc Riboud